Inventaires des abeilles sauvages

Il existe des centaine d’espèces d’abeilles sauvages dans notre département aux mœurs et aux noms plus surprenants les uns que les autres : Abeilles masquées, maçonnes, tapissières, cotonnières, à fourrure, Abeilles-coucous ou encore Abeilles des chemins. Malgré leur rôle fondamental de pollinisateurs de la flore sauvage et cultivée, nos Abeilles sauvages restent très mal connue, que ce soit leur mode de vie ou leur simple présence sur notre territoire. Pourtant, on peut facilement les observer sur les fleurs ou parfois en train de construire leurs nids et on peut même les accueillir dans des nichoirs.

Afin de mieux comprendre ces insectes qui nous entourent, jouent un rôle essentiel dans les processus de pollinisation et présentent une fonction bio-indicatrice, Meuse Nature Environnement a entrepris depuis 2013 de contribuer à un recensement et à un suivi des abeilles sauvages de le Meuse. C’est également l’occasion d’approfondir collectivement notre connaissance des insectes floricoles en général et, à travers les fleurs butinées, de la flore meusienne en particulier. En plus d’observations passionnantes, les lacunes actuelles sur la biologie et l’écologie des abeilles sauvages laissent entrevoir la possibilité de contribuer à leur connaissance par des observations inédites !

Protocoles de suivi

Pour ce faire, nous suivons quatre protocoles (dont trois saisonniers), principalement en lien avec l’Office de protection des insectes et de leur environnement (OPIE) :
. Printemps – “Andrène vague” (Andrena vaga)fiche d’information),
. Eté – Enquête “Anthidies” : en savoir plus),
. Automne – Abeille du Lierre (Colletes hederaefiche d’information,
. Toute l’année – “Des abeilles sauvages dans ma ville” en savoir plus.

Observations printanières

Multiples colonies d’Abeilles des chemins à la Côte Sainte Catherine

13 mars 2014 – Quelques semaines après le début de la période d’activité de la bourgade des Lasioglosses

De nombreux butineurs ont profité des chaleurs printanières prolongées de cette année 2014 pour débuter leur activité. Nous avons aperçu en nous baladant à quelques pas de nos bureaux de la Côte-Sainte-Catherine à Bar-le-Duc une bourgade d’abeilles sauvages, c’est à dire une concentration de nids sur une petite surface.

Elles ont choisi le bord d’un sentier à flanc de talus, bien exposé avec très peu de végétation. Ces conditions favorables ont incité de nombreuses femelles à creuser leurs terriers côte à côte pour former cette bourgade installée au même emplacement que l’année dernière et qui compte des dizaines de nids.

Ainsi, chaque petit amas terreux, ou tumulus, est constitué des déblais issus du creusement du nid. Lorsqu’elle n’est pas recouverte, l’entrée, de quelques millimètres de diamètre, est nettement visible.

Pour en faciliter l’observation, nous en avons signalé deux pour l’exemple à l’aide de flèches jaunes. En regardant l’image de plus près on peut en apercevoir d’autres.

A l’entrée d’un nid de la bourgade : des antennes au garde-à-vous

Antennes et avant de la tête d’une abeille Halictidé montant la garde à l’entrée de son nid

En s’approchant un peu, on fait surgir, à l’entrée de chacun des nids de la bourgade, une abeille qui fait le guet : ses antennes dépassent du nid à l’aguet des intrus.

A cette heure “chaude” de la journée (environ 15h), l’agglomération est en pleine activité. De nombreuses femelles rentrent à la bourgade avec les pattes et le dessous de l’abdomen couverts d’un pollen jaune vif (probablement récolté sur les nombreux pissenlits en fleurs des alentours). Certaines d’entre elles se réchauffent un moment sur un des cailloux qui parsèment le sol pour finalement se diriger vers leurs nids respectifs. Avant de la laisser entrer, la gardienne vérifie que cette butineuse fait bien partie du nid.

Ces abeilles ne mesurant même pas un centimètre de long ont demandé une observation minutieuse pour nous révéler qu’elles appartiennent à la famille des Abeilles des chemins (Halictidae). Pour ces abeilles à langue courte l’accès aux fleurs à corolles profondes est souvent interdit.
De nombreuses abeilles de cette famille se ressemblent fortement (probablement plusieurs dizaines d’espèces petites et souvent difficiles à distinguer en Meuse).

Chez les Abeilles des chemins, certaines espèces sont solitaires, la femelle se débrouillant elle-même pour construire et approvisionner le terrier, mais ici chacun des nids de la bourgade est habité par une colonie de quelques ouvrières organisées autour d’une reine. Au même titre que les Bourdons ou l’Abeille mellifère, les Lasioglosses de cette bourgade ont un mode de vie social.

Pour une présentation générale des espèce apparentées, un article court mais joliment illustré paru dans la revue Insectes : Lasioglosses et Halictes…au pays des merveilles par D. Pelletier et A. Cipière

La fauve des Groseillers – Une compagne de choix pour les épépineuses à la plume d’oie !

30 mars 2014 – La force de conviction de notre réfrigérateur
à finalement décidé cette femelle d’Andrène fauve
à poser pour nous un court moment avant de
prendre son envol

Dimanche 30 mars, tandis que le Prunier du verger est en fleurs et que le Poirier ouvrira les siennes dans trois jours, les butineurs vont bon train et les corolles sont régulièrement visitées.

A côté, les Groseillers rouges arborent de discrètes grappes florales où les insectes floricoles sont aujourd’hui beaucoup plus clairsemés pour ne pas dire rares. Sur l’une d’elle, une grosse abeille à la généreuse toison fauve. Elle est immédiatement reconnaissable avec cette allure de Bourdon, sa pilosité vivement colorée sur le dos et son ventre noir foncé : il s’agit d’une femelle de l’Andrène fauve. Solitaire, elle niche dans les sols nus, parfois en importantes bourgades.

Cette espèce de 12-13 mm de long est commune (même en ville) et strictement printanière fréquente volontiers les Groseillers rouges et à maquereau. Elle butine également les Myrtilliers, les Cerisiers, les Saules et nous l’avons déjà croisée sur des fleurs de Prunellier. Peu exigeante, elle peut récolter du pollen sur de nombreuses familles de plantes.

Pour en savoir plus sur cette jolie rousse, vous pouvez consulter la page qui lui est consacrée sur Atlas Hymenoptera. Pour voir une photo des dômes formés par l’Andrène fauve à l’entrée de son terrier, cliquez ici.

Les Andrènes (genre Andrena) ou “Abeilles des sables”
Insectes aux mœurs terricoles possédant une langue courte (ce qui les limite à l’exploitation de fleurs à corolles peu profondes) et comptent un très grand nombre d’espèces : plus de 150 en France et certainement au-delà d’une cinquantaine en Meuse. Autre particularité de la famille : les femelles possèdent une longue brosse de poils située à la base des pattes arrières ; cet organe sert à la récolte et au transport du pollen.

La pollinisation des Groseillers
Pour les Groseillers à grappes, les variétés cultivées s’autofécondent facilement mais le passage des insectes pollinisateurs peut augmenter la production. Chez le Groseiller à maquereau, l’autofécondation est peu efficace et la présence d’insectes comme l’Andrène fauve est essentielle.

Le bolide des Aubriètes – Une touffe poilue dans une cascade de fleurs

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30 mars 2014 : Après bien des essais infructueux, voici une
photo pas trop floue d’un mâle d’Anthophore à pattes plumeuses
se délectant du nectar d’une fleur d’Aubriète deltoïde

La star printanière qui habille murets et bordures de jardinets est sans conteste l’Aubriète deltoïde : pas un village des environs sans qu’elle n’y ait été plantée, parfois devant la plupart des maisons. Et ce n’est pas pour rien : plante vivace, sa floraison précoce forme une généreuse cascade de petites fleurs violettes sur fond de feuillage dense et délicat.

Les butineurs se pressent dans ses corolles et une Abeille en particulier lui voue une grande fidélité, du matin jusqu’au soir. Trapue et couverte de fourrure, on la repère à son vol rapide émettant un bourdonnement strident, bien plus aigu que celui des Bourdons. Sa face, lorsqu’elle nous laisse l’apercevoir, présente de larges taches claires et remarquables.

Si ces conditions sont réunies, vous avez toutes les chances d’être en présence d’un mâle de l’Anthophore plumeuse. Les Anthophores sont les “Abeilles à fourrure” Pelzbienen des germanophones ; “plumeuse” se rapporte pour sa part à l’agencement des longs poils sur les pattes médianes des mâles. La femelle, à l’apparence nettement différente, n’apparaît que trois semaines après ses congénères et est munie d’une langue interminable, la plus longue chez les Abeilles : quasiment la taille de son corps.

Nidification
La femelle d’Anthophora plumipes, de sa dénomination latine, creuse ses terriers, parfois en bourgades, dans des parois argileuses : talus et berges, murs en torchis ou encore joints des murs en pierre ; si la terre est trop dure, elle la ramollit à l’aide de liquides trouvés dans les environs. La courte galerie principale du terrier se ramifie pour laisser la place à des cellules ovoïdes en argile mastiquée et enduites à l’intérieur d’une sorte de stuc blanc que l’Anthophore secrète. Elle utilise volontiers les nichoirs : elle peut dormir dans des tiges creuses mais surtout creuser son nid dans des caissons verticaux emplis de terre argileuse.

Pollinisation
La longueur de sa langue, sa résistance au froid (grâce à sa fourrure), sa précocité, sa rapidité de vol et son agilité sont autant de qualités pour cet insecte pollinisateur printanier de tout premier choix, notamment pour les fleurs à corolles profondes (par exemple les Lamiacées et les Fabacées). Au jardin, l’Anthophore plumeuse transporte efficacement le pollen des Fèves, Tomates et Abricotiers, probablement aussi des Pommiers et des Poiriers.

Pour en savoir plus sur cette espèce d’abeille, la page qui lui est consacrée sur Atlas Hymenoptera.

La géante des tas de bûches

9 mars 2015 : Un Xylocope violet en quête de nectar de Primevère acaule.
Le mâle se distingue aisément de la femelle et des espèces proches à la couleur orangé
des deux avant-derniers articles de ses antennes et à leur extrémité sinueuse.

Tandis que les noisetiers délivrent leur abondant pollen dans le brouhaha des ouvrières d’Abeille mellifère, un battement d’aile nettement plus grave se fait entendre… A cette époque, c’est probablement une fondatrice de bourdon ? Non : ce butineur a un vol plus rapide et élevé, il est entièrement sombre et ses ailes sont fumées. C’est le xylocope ; et peut-être même la femelle qui nichait l’année passée dans le tas de bois de chauffage et dont j’avais repéré le nid grâce à la sciure excavée à l’aplomb de sa galerie, qui sait ? Le Xylocope violet (Xylocopa violacea) est une abeille qu’il est très difficile de ne pas remarquer tant elle se distingue par sa taille, son vol bruyant et ses couleurs sombres. En cette fin d’hiver, le Xylocope violet fréquente assidûment les fleurs de Primevère.

C’est début mars que nous l’avons rencontré au plus tôt et sa période de vol se situe principalement entre avril et octobre. Etonnament, les adultes émergent à la fin de l’été et se regroupent souvent pour passer l’hiver à l’abri. Le xylocope s’intéresse à une grande diversité de fleurs et nous l’avons régulièrement observé sur les Pois vivaces et quelquefois sur les Fabacées du jardin. On ne voit jamais de pollen sur les pattes de la femelle de Xylocope pour la bonne raison qu’elle le transporte dans son jabot. Par contre, on peut rencontrer des individus saupoudrés de pollen et ils ont alors une allure très singulière.

Une abeille dangereuse ?
Sa taille imposante (20 à 28 mm) et son goût pour les gros morceaux de bois éveillent parfois la crainte : et si le Xylocope piquait ? et s’il abîmait ma charpente ? En fait il n’en est rien, l’espèce est pacifique et les piqûres de la femelle ne sont même pas réputées douloureuses. Et en ce qui concerne les poutres, bien que la taille des galeries du Xylocope soit impressionnante (environ 15 mm de diamètre), sa nidification est le plus souvent signe que le morceau de charpente est en train de pourrir et devrait être remplacé.

Pollinisation
S’ils butinent volontiers la Glycine (Wisteria ssp.), il n’est pas certain qu’ils en véhiculent efficacement le pollen. Par contre, les Xylocopes sont reconnus comme pollinisateurs du Pois vivace (Lathyrus latifolius) et des Iris. Au jardin, il peuvent féconder l’Aubergine (Solanum melongena), les Courges et Courgettes (Cucurbita ssp.) ainsi que les Tomates (Lycopersicon esculentum). Ces affirmations sur leur capacité à polliniser plusieurs légumes-fruits du jardin sont à considérer avec précaution car elles ne sont pas forcément valables dans notre département. Nous n’avons ainsi fait aucune observation de Xylocopes sur les fleurs de ces légumes. Dans le cas des tomates alors qu’on les a vus à plusieurs reprises entrer dans différents tunnels où cette plante (et donc ses fleurs) était très abondante ; il préférait y butiner les fleurs de Soucis !

Liste des Abeilles sauvages observées dans la Meuse par nos soins

Famille des Andrenidae
L’Andrène très agile Andrena agilissima (2014-15) (!A)(Pw)
Andrena cineraria (2014-15)
L’Andrène de la Bryone Andrena florea (2014)
L’Andrène fauve Andrena fulva (2011-13-14-15)
Andrena gravida (2014)
Andrena haemorrhoa (2014)
L’Andrène de la Scabieuse Andrena hattorfiana (2014) (!C)
Andrena nitida (2014)

Famille des Apidae
L’Anthophore à pattes plumeuses Anthophora plumipes (2013-14-15-16-17)
Le Bourdon des arbres Bombus hypnorum (2013-14-15)
L’Eucère Eucera sp. (2014) (Pw)
Le Xylocope violet Xylocopa violacea (2013-14-15-16)

Famille des Colletidae
La Collète-lapin Colletes cunicularius (2013-14-15-16) (Pw)
La Collète du Lierre Colletes hederae (2013-14-16)

Famille des Halictidae
L’Halicte de la Scabieuse Halictus scabiosae (2013-14-15) (!C)
Le Sphécode à labre blanc Sphecodes albilabris (2014)

Famille des Megachilidae
L’Anthidie à manchettes Anthidium manicatum (2014)
L’Anthidie allongée Anthidium oblongatum (2013-14)
L’Anthidie ponctuée Anthidium punctatum (2015) (!C) (Pw)
Anthidiellum strigatum (2015) (!C)
Chelostoma campanularum
Chelostoma rapunculi
Coelioxys (Allocoelioxys) sp. (2014) (Pw)
Megachile ericetorum (2013-16)
Megachile willughbiella (2016)
L’Osmie dorée Osmia aurulenta (2015-16)
L’Osmie bicolore Osmia bicolor (2015) (!B) (Pw)
L’Osmie crochue Hoplitis adunca (2013-14)
L’Osmie rousse Osmia bicornis = Osmia rufa (2013-14-15-17)
L’Osmie cornue Osmia cornuta (2013-14-15-16-17)
Stelis breviuscula (2013)
Stelis punctulatissima (2013)
L’Abeille bâtarde Trachusa byssina (2013) (!A)(Pw)

LEGENDE :
Le nom des espèces déjà rencontrées lors de nos inventaires à la Côte-Sainte-Catherine est souligné.
(!A) : espèce considérée comme en danger en Alsace
(!)B : espèce considérée comme vulnérable en Alsace
(!C) : espèce considérée comme quasi-menacée en Alsace
(Pw) : espèce protégée en Wallonie

D’après :
– TREIBER R., 2015. La Liste rouge des Apidés menacés en Alsace. ODONAT. Document numérique.
– LCN Annexe IIb. Mammifères, amphibiens, reptiles, poissons et invertébrés strictement protégés en Wallonie

Référent du projet :

Antoine KARP
Antoine KARP

Animateur nature, chargé de mission Territoires & biodiversité
Accompagnateur de projets en lien avec la biodiversité et chargé de suivis de la biodiversité naturelle et cultivée, coordinateur du réseau de jardiniers « 100 refuges de biodiversité »

Courriel : a.karp@meusenature.fr